Vancouver Courier - La "gamification", quand investir sur les marchés financiers devient un jeu

Vancouver -
La "gamification", quand investir sur les marchés financiers devient un jeu
La "gamification", quand investir sur les marchés financiers devient un jeu / Photo: © AFP/Archives

La "gamification", quand investir sur les marchés financiers devient un jeu

Classement des meilleurs investisseurs, trophées récompensant des opérations, progression par niveaux... certaines plateformes de trading brouillent parfois la frontière entre placements financiers et jeu, afin d'attirer et fidéliser leurs utilisateurs.

Taille du texte:

Ces pratiques poussent les investisseurs "à effectuer des transactions plus souvent que ce qui est dans leur intérêt", et "dans des produits plus risqués", a mis en garde fin mai, l'IOSCO, organisation mondiale des régulateurs financiers.

La "gamification", l'application de codes du jeu à d'autres domaines, s'est répandue ces dernières années, du sport à l'apprentissage des langues vivantes, en passant par les applications de GPS.

- "Comportements compulsifs" -

Mais dans la finance, "l'utilisateur risque d'oublier qu'il dépense du véritable argent", explique à l'AFP Charles Cuvelliez, professeur à l'Ecole Polytechnique de Bruxelles, spécialiste de la gestion des risques.

Ces techniques, "exploitent en effet les biais émotionnels", comme "les comportements compulsifs, le FOMO (Fear of Missing Out, peur de rater quelque chose, NDLR) ou la volonté de reconnaissance" accroissant le risque "de décisions non rationnelles", ajoute-t-il.

Une étude du régulateur financier britannique FCA a montré que les investisseurs effectuaient 11% de transactions en plus, avec davantage de placements risqués, s'ils étaient gratifiés par un système de points, permettant de gagner des lots.

Selon l'AMF, son homologue français, "le recours au vocabulaire du jeu", via "des classements" ou la "délivrance de récompenses" peut favoriser "une tendance des investisseurs à se tourner vers des instruments aux rendements très incertains et peu prédictibles".

"Un jour, un type me parlait d'une dette de 2.000 euros contractée à cause de produits risqués, proposés par des applis: je lui ai dit qu'il a eu de la chance de ne pas perdre plus", confirme Dominique, 34 ans, utilisateur de ces applications.

Le jeune homme, par ailleurs professionnel dans la finance, participe à un forum en ligne, où les échanges se font dans une ambiance ludique, entre conseils, défis et "mèmes" (images humoristiques, NDLR) sur l'actualité boursière du jour.

Certains assument l'aspect de jeu: "ça, c'est pour le casino, pas sûr que je gagne de l'argent", explique un participant, en parlant d'un produit financier. "C'est vraiment un coup de poker", souligne un autre.

"On est là pour faire fructifier son argent pas pour faire des coups de loto", s'agace un troisième.

- Confettis -

"Avec la simplicité de ces applis, il est facile de tomber dans un comportement de parieur", explique Marius Zoican, professeur de finance à l'Université de Calgary, au Canada.

Les plateformes estiment que ce modèle permet de démocratiser les marchés. "Nous avons rendu l'investissement plus simple, mais nous savons que ce n'est pas un jeu", avait assuré en 2021, devant le Congrès américain Vlad Tenev, patron de Robinhood, société particulièrement décriée.

L'entreprise a dû payer l'an dernier 7,5 millions de dollars, et retirer un système de récompenses basé sur des confettis apparaissant à l'écran après les achats de ses clients, suite aux poursuites du régulateur financier de l'Etat américain du Massachusetts.

Mais "les applications trouveront toujours une nouvelle manière de faire", explique Marius Zoican, ces dernières ayant "besoin d'une masse d'utilisateurs qui échangent beaucoup, pour être rentables" car elles "font payer peu ou pas de commissions".

Ce phénomène remodèle les marchés: les particuliers représentent désormais 20,5% du volume quotidien des flux d'actions aux Etats-Unis, contre 10% en 2010, et ont même dépassé les investisseurs institutionnels (15%), selon un rapport publié en juin par Jefferies.

La remontée spectaculaire des actions à Wall Street, après leur plongeon provoqué par les droits de douane annoncés aux Etats-Unis début avril, est d'ailleurs "le fait des investisseurs individuels", explique Aymeric Gastaldi, gérant actions internationales chez Edmond de Rothschild.

Ces derniers ont pratiqué "le buy the dip", une stratégie risquée, très répandue dans l'univers des investisseurs particuliers, qui consiste à acheter en masse un actif après une forte baisse de son prix, dans l'espoir qu'il remontera par la suite.

Quitte à oublier parfois ce qui se cache derrière ces actifs: "on observe des échanges très importants sur des cryptomonnaies ou certains titres peu chers d'entreprises sur lesquelles on dispose de très peu d'informations. Ce n'est souvent que du jeu, du pari", relève M. Zoican.

H.Miller--VC