Vancouver Courier - En Cisjordanie, Basel Adra documente "l'impunité israélienne" au quotidien

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En Cisjordanie, Basel Adra documente "l'impunité israélienne" au quotidien
En Cisjordanie, Basel Adra documente "l'impunité israélienne" au quotidien / Photo: © AFP

En Cisjordanie, Basel Adra documente "l'impunité israélienne" au quotidien

En Cisjordanie occupée, caméra au poing, Basel Adra, l'auteur du film oscarisé "No Other Land", documente depuis des années ce qu'il appelle "l'impunité" des colons et militaires israéliens dans les violences contre les Palestiniens, qui ne font que s'aggraver selon lui.

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Depuis la terrasse de sa maison dans le village de At Tuwani, la vue est imprenable sur la colonie israélienne de Maon, à quelques centaines de mètres. Le voisinage semble paisible, mais les incidents avec colons et soldats sont quasi-quotidiens.

"Les habitants de dizaines de villages ont fui" depuis le début de la guerre à Gaza déclenchée par l'attaque du Hamas sur le sol israélien le 7 octobre 2023 "en raison des colons et des forces d'occupation, de la violence, des attaques et des meurtres", assure le jeune homme de 29 ans dans un entretien avec l'AFP.

Et la présence sur les lieux de militants palestiniens et étrangers, qui se veut dissuasive, n'y change rien.

Quelques mois après l'Oscar à Hollywood pour son documentaire réalisé avec l'Israélien Yuval Abraham, des dizaines d'interviews et des centaines de vidéos d'attaques de colons, Basel Adra déplore que le monde "accorde l'impunité aux Israéliens pour commettre des crimes".

A Masafer Yatta, le groupe de villages incluant At Tuwani, les colons "continuent de construire des colonies et des avant-postes illégaux", dit-il.

Cette région a été déclarée zone militaire par Israël dans les années 1980. Après une longue bataille judiciaire, la Cour suprême israélienne a donné raison en 2022 à l'armée, ouvrant la voie à l'expulsion des habitants de huit villages palestiniens.

- "Nulle part où aller" -

Pour étayer ses dires, le jeune homme emmène l'AFP dans le village bédouin d'Oum al-Khair, à quelques kilomètres. La route passe devant une colonie israélienne, où une inscription en arabe sur un mur proclame qu'il n'y a "pas d'avenir en Palestine".

Les quelques maisons en ciment d'Oum al-Khair sont littéralement encerclées par des installations de colons, mobil-homes surmontés d'un drapeau israélien et habitations en dur.

Sur son bureau, Khalil Hathaleen le chef de la communauté et frère d'un ami de Basel Adra tué en juillet lors d'un raid de colons, étale 14 ordres de démolition reçus le 28 octobre. Selon ces documents de l'armée, rédigés en hébreu et en arabe, les habitants concernés ont 14 jours pour contester.

"Même si tout le village est démoli, nous resterons sur cette terre et ne partirons pas", dit-il. "Parce qu'il n'y a nulle part ailleurs où aller".

Comme d'autres communautés dans la région, les quelque 200 habitants du village sont des descendants des populations bédouines expulsées du Néguev (sud d'Israël) au début des années 1950.

Basel Adra dit avoir lui-même été la cible de violences, et "arrêté plusieurs fois par l'armée".

En septembre, après son Oscar, "des colons sont venus sur notre terre (...), ont commencé à nous pousser, à lancer des pierres et ils avaient des bâtons, une arme à feu. Deux de mes frères ont été légèrement blessés", raconte-t-il, assurant que la police ne s'est pas interposée.

De son côté, l'armée a affirmé à l'AFP être intervenue après avoir été informée de jets de pierres sur des "civils israéliens" près de At Tuwani, et avoir interrogé "des suspects".

Alors qu'il se trouvait à l'hôpital avec l'un de ses frères, l'armée a ensuite "envahi ma maison, ils ont arrêté ma femme, ils ont fouillé la maison, son téléphone", relate Basel Adra.

- "Faire quelque chose" -

Documenter les violences, déplore-t-il, a aussi coûté la vie à son ami, Awdah Hathaleen, tué par balle le 28 juillet alors qu'il filmait "des colons avec un bulldozer qui traversaient les terres de sa famille, détruisant leurs oliviers et leur clôture".

Les images de sa mort ont été largement relayées par les médias et sur les réseaux sociaux, la police israélienne indiquant de son côté qu'une enquête était en cours, mais sans retenir la qualification de meurtre.

"Quelques jours après que ce colon ait commis ce crime, il a été autorisé à revenir", affirme Basel Adra.

Et fin octobre, le Parlement israélien s'est prononcé pour l'examen de deux projets de loi de l'extrême droite prévoyant l'annexion de la Cisjordanie, où vivent trois millions de Palestiniens aux côtés d'environ 500.000 Israéliens installés dans des colonies, illégales au regard du droit international

"En grandissant, je croyais au droit international", se souvient Basel Adra. "Je croyais que les images que je filmais, la documentation, lorsqu'elles seraient vues à l'étranger, quelqu'un allait faire quelque chose".

Dans le territoire palestinien occupé par Israël depuis 1967, environ 1.000 Palestiniens ont été tués depuis le 7-Octobre, selon l'Autorité palestinienne. Plusieurs d'entre eux représentaient des "menaces" contre les militaires, selon l'armée israélienne. Dans le même temps, 43 Israéliens ont été tués en Cisjordanie, dont des soldats, selon les autorités israéliennes.

T.Martinez--VC